Non-réhabilitation des sites miniers au Burkina Faso : que deviennent les 60 milliards FCFA versés par les sociétés minières ?

Les différents Codes miniers que le Burkina Faso a adoptés encadrent la question de la fermeture et de la réhabilitation des sites miniers. En effet, les sociétés minières qui sont en fin d’exploitation ont l’obligation de réhabiliter le cadre ayant servi à leurs activités. Pour ce faire, elles cotisent annuellement pendant la phase d’exploitation de leur mine afin que cette manne financière puisse servir à la réhabilitation. Malgré tout, aucun site n’a été réhabilité. Alors, quel est le point des cotisations des sociétés minières ? Que deviennent ces milliards FCFA ?Pourquoi les sites ne sont pas réhabilités malgré les milliards FCFA versés par les sociétés minières ? Nous avons cherché à comprendre cette impossible réhabilitation des sites miniers fermés au Burkina Faso.

Site minier /Ph:DR

L’exploitation minière à un impact significatif sur l’environnement. Mais à la fin de l’exploitation d’une mine, la société a l’obligation de réaliser des travaux de remblaiement, de re-couverture des sols par l’utilisation des matériaux de remblaiement des fonds de carrière, excavation, puits et la reconstitution de la base du biotope par des plantations des différentes espèces, etc. C’est pour couvrir les frais liés à ces différentes opérations de restauration de l’environnement et du cadre ayant servi aux activités minières que le Code minier fait obligation pour chaque exploitant minier, de créer un compte à la BCEAO ou dans une banque commerciale où elles cotisent en fonction des éléments contenus dans le plan de gestion environnemental et social. Le montant issu de ces cotisations servira à toutes les activités de réhabilitation.

Le Code minier adopté en 2015 s’est voulu clair sur la question. En effet, en son article 141, la loi n°036-CNT portant Code minier prescrit que « tout titulaire d’un permis d’exploitation de grande ou de petite mine, d’un permis d’exploitation semi-mécanisée ou d’une autorisation d’exploitation industrielle de substances de carrières est tenu d’ouvrir et d’alimenter un compte fiduciaire à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ou dans une banque commerciale du Burkina Faso qui servira à la constitution d’un fonds pour couvrir les coûts de la mise en œuvre du programme de préservation et de réhabilitation de l’environnement. Les sommes ainsi utilisées sont en franchise des impôts sur les bénéfices. Les modalités d’alimentation et de gestion de ce fonds sont établies par voie réglementaire ».

La gestion de ces fonds cotisés par les mines relève des compétences du Fonds d’intervention pour l’environnement (FIE). Dans ce sens, le FIE « est mobilisateur et gestionnaire du fonds. Il a œuvré à l’ouverture des comptes » par les sociétés minières, expliquent les responsables du FIE. En outre, le décret n°2017-0047/PRES/PM/MEMC/ MEEVCC/MINEFID/MATDS 15 février 2017, portant organisation, fonctionnement et modalités de perception des ressources du Fonds de réhabilitation et de fermeture des mines, précise les conditions d’approvisionnement du compte ainsi que les conditions d’utilisation des fonds qui y sont versés.

Ces milliards FCFA qui dorment en banque

Selon les informations recueillies auprès de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE-BF), les sociétés minières ont assuré le versement de leurs cotisations. En 2016 par exemple, le solde global de leurs cotisations était à seulement 9.110.134.041 FCFA contre 23.950.892.373 FCFA attendus en fin 2015 selon les chiffres de l’ITIE-BF. Ce qui donnait déjà un manque à gagner de 14.840.758.332 FCFA.

Par la suite, la situation semble avoir plus ou moins évolué. A la date du 31 décembre 2022 et selon le rapport d’avancement 2023 de l’ITIE, ce sont 57.128.711.498 FCFA qui ont été cotisés par 11 sociétés minières. A la même date, il était cependant attendu des sociétés minières, des cotisations à hauteur de 60.640.610.823 FCFA. En fin 2022, le manque à gagner est de 3.511.899.325 FCFA. Ce qui veut dire que le compte n’est pas encore bon pour ce fonds de réhabilitation malgré les efforts des sociétés minières. Néanmoins, « il est important de souligner que toutes les sociétés minières contribuent », précise ITIE-Burkina.

Pour l’année 2023, des sociétés ont déjà opéré des versements pour le Fonds. A la fin du premier semestre de l’année 2023, l’on apprend auprès du FIE, que 12 sociétés ont procédé au paiement des cotisations du fonds de réhabilitation et de fermeture des sites miniers. L’ensemble des cotisations depuis l’initiative du fonds de Réhabilitation en 2015 donne la somme de 60.933.070.629 FCFA à la date du 30 juin 2023.

Impossible réhabilitation ?

Cependant, cette réhabilitation des sites miniers au Burkina Faso connaît des difficultés, sinon des blocages, selon les responsables du FIE. Ces derniers confirment d’ailleurs que les sites des mines en situation de fermeture n’ont pas encore été réhabilités. Selon les informations d’ITIE Burkina, à ce jour, il est fait état de « 6 mines en arrêt pour diverses raisons » et non des mines fermées.

Des sociétés minières disposent de leur plan de réhabilitation, mais peinent à les voir étudiés par un Comité. En effet, les plans de réhabilitation et de fermeture d’une mine industrielle et semi mécanisée ou une carrière industrielle sont examinés et validés par le Comité technique interministériel d’examen des plans et programmes de réhabilitation et de fermeture des mines.

Ce Comité a été créé par l’arrêté interministériel n°2019-554/MEEVCC/MMC/ MINEFID/MATDCS du 30 octobre 2019. Composé de 24 membres, il est présidé par le Secrétaire général du ministère en charge de l’Environnement. Les membres ont été officiellement installés le 9 décembre 2020. La procédure veut que chaque mine adresse son plan de réhabilitation au ministre chargé des Mines qui saisit le Président du Comité pour statuer. Malheureusement, révèlent les responsables du FIE, à la date du 30 juin 2023, aucun plan de réhabilitation et de fermeture de mine n’a été soumis au Comité.

« Les charges de fonctionnement du CT/EV et du Comité Interministériel de suivi-contrôle sont supportées par le Fonds de réhabilitation et de fermeture des mines. »

Le FIE accuse « le manque de ressources pour le fonctionnement du Comité mis en place ». En outre, le manque de ressources nécessaires au fonctionnement des comités mis en place; le manque de textes qui fixent les modalités d’accès aux ressources et la non-tenue des comités chargés de l’examen et de la validation des plans et programmes de réhabilitation et de fermeture des mines constituent des barrières à la mise en œuvre de la réhabilitation des sites miniers, à en croire les experts du FIE.

En effet, l’article 21 de l’Arrêté n°2019-554/MEEVCC/MMC/ MINEFID/MATDCS dit que « les charges de fonctionnement du CT/EV et du Comité interministériel de suivi-contrôle sont supportées par le Fonds de réhabilitation et de fermeture des mines ». Et l’article 22 ajoute que « les indemnités de session des membres du CT/EV, les frais de mission des membres du comité interministériel et suivi-contrôle et les indemnités de session du conseil d’administration du Fonds d’intervention pour l’environnement sont servis conformément aux textes en vigueur ». Le texte ne précise donc pas l’origine des indemnités et autres prises en charge, puisque les activités financées par les cotisations sont clairement citées dans le décret.

Faut-il parler de problèmes de prise en charge des membres du Comité ? Non, répond un technicien de l’ITIE-Burkina. Avant lui, nous avons tenté de poser la même question aux acteurs directs de l’Etat, mais nos demandes d’entretien avec le Ministère des Mines, celui de l’Environnement, et l’Agence nationale des évaluations environnementales, toutes datées du 5 juillet 2023 n’ont pas eu de réponse.

L’une des difficultés majeures, selon notre source de l’ITIE-Burkina, est de pouvoir disposer de ressources humaines aguerries pour faire des travaux de terrain, évaluer l’impact réel des activités minières avant de pouvoir apprécier les éventuelles propositions de plan de réhabilitation des sites. A cela, confie-t-il, s’ajoute la question sécuritaire qui ne facilite pas des travaux de ce type.

Néanmoins, selon l’Inspecteur de l’environnement Juste Bationo, la question de la prise en charge des membres du Comité technique demeure une réalité. Il explique le lien avec les questions de prises en charge par les dispositions réglementaires qui encadrent les conditions de décaissement des fonds.

« Il est difficile à l’Administration de procéder au déblocage des fonds pour la tenue des sessions de validation des plans et programmes annuels de réhabilitation et de fermeture. »

Il y a plusieurs conditions à remplir, selon lui : « Les dépenses relatives aux travaux de réhabilitation et de fermeture des sites miniers ne peuvent être autorisées qu’après la réalisation d’une évaluation précise du coût de la réhabilitation et de fermeture des sites miniers, la transmission du rapport d’évaluation du comité technique faisant ressortir les conclusions des travaux, l’avis final, la liste des membres ayant participé aux travaux ainsi que la version définitive du plan de réhabilitation et de fermeture au Conseil d’Administration du FIE et l’établissement d’un rapport d’exécution physique et financière des travaux de l’année précédente s’il y a lieu. »

Cette autorisation des dépenses de réhabilitation est assurée par le comité technique interministériel chargé de l’évaluation et de la validation des plans de réhabilitation. De ce fait, il est difficile à l’Administration « de procéder au déblocage des fonds pour la tenue des sessions de validation des plans et programmes annuels de réhabilitation et de fermeture ». Selon le Directeur général par intérim du FIE, il faut vite trouver une solution aux différentes difficultés liées à la réhabilitation des mines.

Afin de comprendre ces blocages, nous avons adressé une correspondance au ministère en charge de l’Environnement ainsi qu’à celui chargé des Mines et au Comité. Mais jusqu’au moment où nous bouclions ces lignes, nous n’avions reçu aucune réponse.

Face à toutes ces difficultés constatées dans le dispositif, l’on apprend qu’une relecture des textes régissant la réhabilitation est en cours afin de rendre le Comité plus opérationnel. Cela permettra de prendre en compte les nouvelles réalités qui s’imposent. En outre, les acteurs s’accordent à dire qu’il serait judicieux d’envisager une réhabilitation progressive des mines.

Situation environnementale déplorable

En clair, tant que les sites ne sont pas réhabilités, la situation environnementale des sites miniers demeure préoccupante. En cas de non-réhabilitation, les conséquences sont donc énormes. Ainsi, selon un expert de l’ITIE, la non-réhabilitation cause des problèmes pour les populations environnantes. Les bacs à résidus chargés de produits chimiques toxiques comme le cyanure, dit-il, peuvent contaminer la nappe phréatique et les trous béants menacent la sécurité physique des populations.

La mine de Kalsaka, dans la région du Nord, en est l’illustration. Fermée depuis 2013, la nonréhabilitation fait craindre le pire. Des animaux sont morts à l’intérieur du site qui a connu un saccage des populations, selon les témoignages de l’ancien maire. La mine de Poura est aussi une parfaite illustration. Elle n’a connu aucune réhabilitation depuis sa fermeture en 1999. Selon des témoignages recueillis sur place, les eaux souterraines de la ville de Poura ont été contaminées par des produits toxiques. Des dizaines d’animaux sont morts après avoir bu de l’eau contaminée. La mine de Zinc de Perkoa, celle d’or de Youga en arrêt risque de subir le même cas si la réhabilitation n’est pas effective. Pourtant, toutes ces mines ont versé leur cotisation au fonds de la réhabilitation. Mieux, Kalsaka et Essakane ont déposé respectivement en août 2015 et en novembre 2020 leur plan de réhabilitation auprès du ministère des Mines. Les dossiers de Kalsaka et de Essakane n’ont jamais été transmis à ce Comité, encore moins examiné. Ces 02 sociétés qui sont à jour de leur cotisation au fonds de réhabilitation et de fermeture des mines n’y ont pas accès pour débuter la réhabilitation.

Le manque de moyens est battu en brèche par une enquête réalisée en 2016 par les députés de la septième législature. Pour les députés, « les compagnies minières sont en deçà des réponses environnementales légalement et socialement attendues ». Et les députés de déplorer le fait que les ministères des Mines et de l’Environnement ne montrent aucune volonté réelle « à obtenir les mesures correctives nécessaires ».

Pire, du fait de la non-utilisation des fonds par l’Etat, certaines sociétés minières ont souhaité utiliser leurs fonds logés dans les banques pour la mise en œuvre de leur plan de gestion environnementale et sociale (PGES), ce qui est différent du plan de fermeture et de réhabilitation.

Ce manque de moyen financier est aussi battu en brèche par bon nombre d’observateurs du secteur minier qui estiment qu’il existe plusieurs moyens de financer le fonctionnement de ce Comité. Les services financiers du ministère de l’Environnement peuvent solliciter des ressources au titre des dépenses interministérielles du budget national. Il suffit d’en faire la demande au ministère des Finances ou de créer une ligne dans le budget de l’année.

Enquête réalisée par Aimé Kobo NABALOUM avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO).

Encadré :

Situation nominative des sociétés mines

Liste des Mines en fonction : Essakane SA, Houndé Gold, Mana, Boungou, Wahghion, Roxgold, Bissa Gold, Ymiougou, Orezone, Somisa, Karma

Liste des sociétés minières en situation d’arrêt Kalsaka mining SA, Semafo Burkina SA, Somita SA, Netiana mining Company, Société des mines de Belahouro (SMB), Bouere-Dohoun Gold Operation SA et Nantou mining Perkoa.



Bassin du fleuve Niger : inondations dévastatrices à Malanville, où sont passés les milliards investis ?

Depuis 2007 à Malanville, une ville située à l’extrême Nord-est du Bénin, à la frontière du Niger, des inondations emportent chaque année des humains, des bétails et des habitations ; laissant derrière elles, désolations et scènes de chaos. Pourtant, plusieurs projets sont financés à coups de milliards par des institutions internationales, pour des résultats très peu satisfaisants. Entre l’absence d’ouvrages de protection des habitations et l’inefficacité du système d’alertes de prévention des inondations, les populations de Malanville portent leur croix depuis plus de 10 ans.

Sur le fleuve Niger, Crédit Photo : Megan Valère SOSSOU

Début septembre 2017, Zoulémiatou, la quarantaine, a tout perdu. Cloîtrée avec ses sept enfants orphelins dans une pièce précaire en pailles, la désormais veuve, larmes aux yeux, peine encore à croire que le fleuve qui lui a tant donné, en vienne à tout lui prendre.

À Garou-Tédji, un village de la commune de Malanville à l\’extrême Nord-Est du Bénin, il y a cinq ans, les inondations ont emporté son époux. Elle ne reverra jamais son corps. Non plus, la vingtaine de tonnes de produits agricoles en réserve, une épargne d’argent de plus de 800 000 F CFA, représentant deux années d’économie, soit 24 mois de travail, une habitation de trois cases, un bétail d’une vingtaine de têtes de moutons, le tout emporté par les eaux débordées du fleuve Niger. Dévastée, Zoulémiatou n’a plus de mot pour décrire la catastrophe qui a frappé sa famille en septembre 2017.

Selon les chiffres communiqués par l’actuel maire de la commune de Malanville, Gado GUIDAMI, rien que pour l’année 2020, dix mille trois cent vingt-et-une (10 321) personnes ont été victimes des inondations dans onze (11) villages. Pire, huit (08) personnes ont péri par noyade et deux mille cent-seize (2.116) hectares de cultures ont été ravagés, sans compter les habitations démolies. C\’est l’équivalent du quart de la superficie totale de Cotonou, capitale économique du Bénin.

À Kotchi, un petit village enclavé de Malanville, les dégâts sont bien plus perceptibles au point où l’espoir de continuer à y résider s’amincit au jour le jour. Le lundi 30 août 2021, en pleine saison pluvieuse et donc inondation, quatre adolescentes ont perdu la vie au cours d’une traversée en pirogue alors qu’elles revenaient de ce village. Il y a plus d’une décennie déjà que ces inondations sont entretenues par des facteurs aussi bien naturels qu\’anthropiques dans la commune de Malanville.

Une combinaison de causes climatiques et anthropiques

Plusieurs acteurs à Malanville pointent du doigt l’action de l’Homme à travers la déforestation excessive en faveur des activités agricoles et le changement climatique comme principales causes liées aux inondations cycliques.

Théodore ADJAKPA, géographe environnementaliste, auteur de plusieurs études scientifiques sur les inondations dans le bassin du fleuve Niger, soutient que les populations à la recherche de terres agricoles ont contribué excessivement à la déforestation en occupant les zones inondables du bassin du fleuve Niger. Une situation qui a occasionné l’ensablement du fleuve. « Le bassin a perdu une bonne partie de son couvert végétal, exposant ainsi les sols nus à l’érosion hydrique et éolienne » a-t-il expliqué. Ce qui aurait entraîné de forts ruissellements et de faibles infiltrations.

Une réalité confirmée par une étude scientifique intitulée « Fleuve Niger et les changements climatiques » qui a indiqué que les débits maximaux annuels du fleuve Niger ont fortement diminué, passant de 41 % avant 1970 à 23 % de nos jours. En effet,  l’ensablement, favorisé par la dégradation du couvert végétal des versants de la vallée, tapit le fond du fleuve et réduit le rythme de circulation favorable aux crues.

Pour le géographe-environnementaliste, le facteur principal des inondations dans le bassin du Niger demeure la concentration des précipitations saisonnières sur une saison pluvieuse dont la durée se réduit d’année en année. Autrement dit, le changement climatique  se manifeste par une mauvaise répartition des pluies avec une réduction très perceptible de la saison pluvieuse, augmentant ainsi l’agressivité climatique sur un sol faiblement couvert. À l’en croire, cette situation est favorisée également par la sécheresse récurrente, observée au cours des années 1970 et 1980.

Aussi, a-t-il ajouté, la hauteur importante des pluies au mois d’août avoisinant 255 mm en moyenne et la forte pluviométrie en amont du fleuve du Niger en Guinée entraînent des inondations catastrophiques dans le bassin du fleuve Niger. Et pourtant, depuis le début des inondations en 2007, un montant global de plus de 25 milliards de Francs CFA a été englouti dans divers projets censés prévenir les catastrophes.

Malanville, Crédit photo : Megan Valère SOSSOU

Pluie de milliards sur Malanville

A Malanville, les projets censés protéger les populations se sont succédés, mais aucun ne s’est jamais donné pour mission de construire un ouvrage capable d’endiguer les inondations. Inoussa DANDAKOUE, Maire de la commune de Malanville de 2015 à 2020, reconnaît les dysfonctionnements : « La plupart des projets qui sont intervenus, je ne les vois pas aller loin. Parce que leurs actions ne sont pas suivies. Ceux qui sont censés appliquer les actions ne les conçoivent pas bien ».

Pour l’actuel Maire, Gado GUIDAMI, il y a un certain cafouillage dans la réalisation des projets, ce qui a entraîné une absence d’efficacité. « Une bonne partie des interventions des projets ou ONG vient pour secourir. Aucun projet n’a été spécifiquement dédié à la lutte contre les inondations dans la commune », nous a-t-il confié.

À en croire Yacoubou TOROU, Responsable Risque et Catastrophe à la mairie de Malanville, plusieurs projets sont intervenus, notamment le projet Système d\’Alerte Précoce (SAP-Bénin). Initiées suites aux dégâts causés par les inondations en 2010, ce projet a pour objectif de renforcer les capacités de surveillance météorologique, climatique et hydrologique, afin de créer des Systèmes d\’alerte précoce (SAP) et d’information pour répondre à des conditions météorologiques extrêmes et planifier l\’adaptation au changement climatique au Bénin.

Financé en 2013 par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et le Fonds pour l’Environnement Mondial, ce projet a englouti 9 255 774 500 de FCFA pour  un résultat mitigé. Selon le rapport final du projet que nous avons consulté, le développement de conseils hydrologique/climatologique/météorologique répondant aux besoins d’acteurs socio-économiques n’a pas été réalisé et toute une série d’outils et études non réalisées (partenariat SAP-Communes absent, Portail d’accès libre aux données et informations et plate-forme mobile-phone de conseils agricoles non réalisé, étude portant sur les Proportions des populations (H/F) utilisant les alertes et informations climatiques non disponibles…).

Comme la famille de Zoulémiatou qui a tout perdu, les alertes sont nécessaires pour les personnes vulnérables (activités agricoles dans les lits des cours d’eau, pêcheurs artisanaux, populations vulnérables avec constructions précaires le long des cours d’eau, villages de pêcheurs). Selon le rapport final du projet, \ »les activités de communication et sensibilisation des populations ont été minimes durant le projet\ ». \ »Les activités du projet n’ont pas un impact direct sur les populations\ », précise le rapport.

Le projet a prévu la réalisation et la diffusion, via des radios locales, des messages d’alertes en langues locales, pour prévenir les populations des risques d’inondations. Mais, la ville de Malanville ne disposait pas de radio locale. Aucun des experts ayant travaillé à l’élaboration du projet ne s’en est rendu compte. Finalement, c’est la Radio Fara’a FM de Gaya au Niger près de la frontière du Bénin et la Radio du service public (Ortb) dont l’antenne régionale est située à près de 300 km de Malanville, qui ont servi de canaux de diffusion de messages d’alertes, mais ceci sans un réel impact. En témoigne le rapport d’évaluation du dispositif de production et de diffusion des alertes aux inondations du fleuve Niger qui conclut que : « l’absence de radios locales qui émettent en langue compréhensible par les populations riveraines a affecté négativement la réussite du dispositif d’alerte ».

Osséni Gayouga est riziculteur à Monkassa, l’un des villages les plus vulnérables aux inondations à Malanville. Il déplore : « Chaque année, les eaux nous surprennent toujours. Aucune alerte n’a rien prévenu ici. Comme on n’a jamais su quand elles venaient, on ne sait jamais quand elles devraient aller ».

Dans la même commune, en dehors du projet SAP Bénin, un autre projet financé par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) censé lutter contre les effets du changement climatique, a été déployé, sur quatre ans. Plus de 07 milliards de FCFA y sont passés, sans que les objectifs fixés soient atteints.

Riziculture de contre saison à Bodjécali, Crédit Photo : Megan Valère SOSSOU

Dans le même bassin, la Banque Africaine de Développement (BAD) a financé un Programme pour lutter contre l’ensablement du fleuve Niger. Intitulé Programme Intégré de Développement et d’Adaptation au Changement Climatique dans le bassin du Niger (PIDACC), il est mis en œuvre par l’Autorité du Bassin du Niger, une institution créée en 1980 pour assurer un développement intégré du bassin et promouvoir la coopération entre les 09 pays traversés par le fleuve Niger (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Nigéria et Tchad).

Ce programme dont la première phase a amorcé la lutte contre l’ensablement et l’érosion hydrique à l’échelle du bassin a connu une seconde phase. D’un budget de plus de 09 milliards, cette deuxième phase vise à préserver les écosystèmes du bassin à travers la réduction de l’ensablement du fleuve Niger. Trois ans après son lancement, ce projet, censé prendre fin en 2025, connaît jusqu’en 2022 des résultats qui sont très loin des attentes sur le terrain. Le taux de décaissement en est encore à 1 % à la date du 25 janvier 2022, selon le rapport de l’équipe du programme.

Encore faut-il noter qu’au sein du même projet, des conflits de compétence au niveau de certaines équipes de mise en œuvre ont conduit à la démission de plusieurs cadres du programme. Cette léthargie est partagée par tous les acteurs intervenants dans ce projet, à partir de la Banque Africaine de Développement (BAD), jusqu’aux unités de gestion du programme dans chacun des pays sous tutelle de l’Autorité du Bassin du Niger, selon le même rapport.

Worou Wara ADAMOU, Coordinateur National du PIDACC au Bénin explique : « C’est vrai qu’il y a eu des cascades de démission. Les raisons sont liées au traitement salarial et aux avantages directs des cadres. » A l’en croire, le faible taux de décaissement enregistré se justifierait par le retard accusé dans le recrutement et les travaux des bureaux d’étude. Conséquence, les populations continuent de faire face impuissamment aux inondations destructives et fatales au vu et au su des pouvoirs publics qui y accordent très peu d’attention et d’actions probantes.

\ »Ce que je suis venu voir est ahurissant, alarmant\ »

À la suite des inondations de 2015, Placide AZANDE, le ministre de l\’Intérieur du gouvernement de Boni YAYI, s’était rendu le mercredi 16 septembre 2015 au chevet des populations de la commune de Malanville. Il a, pour l’occasion, annoncé que le génie militaire se mettrait à l’œuvre pour construire des digues afin d’éviter de nouvelles inondations. Une promesse politique jamais tenue, après quoi, les inondations continuent de dicter leurs lois.

Cinq ans après, et à la veille de l’élection présidentielle de 2021, une tournée parlementaire a été conduite par l’actuel président de l\’Assemblée nationale, Louis Gbèhounou Vlavonou. Il est allé à la rencontre des populations victimes d’inondations à Malanville. Face aux nombreuses préoccupations exprimées, le Président de l\’Assemblée Nationale a répondu : « … Je pourrai porter directement la voix des sans voix que je suis venu voir, en personne au chef de l’État. Je pourrai lui dire que ce que je suis venu voir est ahurissant, alarmant ». Plus d’un an déjà et rien de concret.

La preuve que cette partie du Bénin bénéficie de peu d’attention aux yeux des politiques dont le seul intérêt est de venir faire la quête électorale. Un sentiment largement partagé au sein de la population à Malanville. « Malanville ne fait pas partie du Bénin ? », s’interrogera Abdel Aziz FAYOMI, jeune aviculteur à Bodjécali, commune de Malanville.

Malanville entre résilience et résistance

Il y a plus de vingt ans que Bouraima Moukaila, alias « Coach », vit à Galièl, quartier le plus populaire de Malanville. De concert avec d’autres jeunes du quartier, il a initié la construction d’un ouvrage de franchissement grâce à une collecte de fonds, dont il est énormément fier : « Cette initiative citoyenne nous a permis de réaliser ce pont dont l’efficacité n’est plus à démontrer ».

Pont réalisé sur l\’initiative citoyenne des jeunes de Galiel, Crédit Photo : Megan Valère SOSSOU

À Malanville, la majorité des habitations est faite de paille et de tôle pour non seulement amoindrir l’ampleur des dégâts liés aux inondations, mais aussi éviter la ruine. Elles sont récupérables et limitent les décès contrairement aux habitations en terre battue. L’élu local de Galiel, GARBA Oumorou ne s’est pas empêché de faire de même. Car, a-t-il confié, les inondations à Malanville n’épargnent personne.

Type d’habitation répandue à Malanville, Galiel, Crédit photo : Megan Valère SOSSOU

Une zone occupée par les riziculteurs et maraîchers au nord-ouest de la commune est quant à elle protégée par une grande digue de 5 km réalisée par la coopération chinoise en 2006. Au regard de l’efficacité de cet ouvrage, les acteurs sont unanimes qu’il n’y a que la construction d\’ouvrages de protection qui pourra pallier le problème.

Au contraire, selon nos recoupements, la grande majorité des investissements (60 %) est dépensée dans les projets de secours chaque année, après donc la survenue des inondations et leurs dégâts, contre une part relativement moyenne (30 %) pour les projets de prévention, donc de sensibilisation et de production d’informations agrométéorologiques. Les investissements dans des constructions d’ouvrages de protection, d’endiguement et d’aménagement hydro-agricole sont encore plus faibles (10 %). Pourtant, tous les acteurs rencontrés reconnaissent que la réalisation d’ouvrages constitue la solution durable.

Auteur : Megan Valère SOSSOU

Pour définitivement tourner le dos aux inondations, un plaidoyer a été lancé en 2018 par la Plateforme de Gestion des Risques et Catastrophes liés au Changement Climatique. L’objectif est d’inciter à la construction d’une digue longue de plus de 100 km. Cette digue doit quitter la limite Karimama-Malanville à l’ouest, pour la limite Malanville-Nigéria à l’est.

Ibrahim SAFIRI, géomorphologue, spécialiste en aménagement des eaux de surface en appelle à une synergie d’action entre le Niger et le Bénin pour plus d’efficacité dans la lutte. Car constate-il, « du côté du Niger, les efforts qui ont été faits sont un peu plus importants que ce qui est fait du côté du Bénin ».

Un risque catastrophique permanent

En raison de l’engloutissement des milliers d’hectares de cultures, de récoltes et de la contamination du système d’approvisionnement en eau potable par les eaux d’inondation, la famine, la migration et l’épidémie de choléra constituent l’épée de Damoclès qui plane sur la commune de Malanville.

A l’image des inondations catastrophiques de 2010, les scientifiques soutiennent qu’un phénomène de grande ampleur reviendrait au moins chaque 10 ans. Il n’y a donc plus de doute sur l’imminence d’une nouvelle catastrophe climatique avec à la clé des conséquences sur la santé, l’économie, l’éducation et sur les réseaux de téléphonie, d’électricité, d’eau, d’infrastructures routières.

Pourtant, Malanville dispose d’un potentiel économique important. Elle abrite le 2e plus grand marché du Bénin dont les recettes en 2020 par exemple affichaient 105 813 150 de FCFA à la régie autonome. Il s’agit de l’un des plus grands marchés céréaliers et maraîchers de la sous-région ouest africaine. La commune de Malanville joue aussi un rôle crucial de transit de marchandises depuis le port de Cotonou par son poste frontalier. Il urge d’endiguer définitivement les inondations pour le bien-être socio-économique et environnemental de Malanville et ses environs.

Toutefois, retenons que la persistance des inondations à Malanville incombe non seulement aux différents projets exécutés sans succès ou grand succès, mais aussi au pouvoir public béninois qui accorde très peu d’attention à la résolution définitive du problème qu’à jouer le médecin après la mort.

Enquête réalisée par Megan Valère SOSSOU avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO)

Comme à Malanville, commune du Bénin, les populations de la localité de Gaya au Niger souffrent toujours des inondations malgré les milliards injectés. Les résultats de la même enquête réalisée par notre confrère Nigérien Nasser ZADA sont à retrouver en version audio ici